Les règles d’écriture

 

                                             ROYALE COMPAGNIE DU CABARET WALLON TOURNAISIEN

                                                     CONSEILS AUX VERSIFICATEURS TOURNAISIENS.

 

Nous destinons ces conseils à nos jeunes concitoyens désireux de connaître les règles auxquelles on doit obéir quand on compose en vers.

 

Nous voulons simplement et modestement mais très amicalement­ venir en aide à tous ceux qui se risqueront à écrire une chanson, un poème, un monologue en patois de Tournai. Mais nous n’avons nullement l’intention de leur faire un cours complet de versification. Nous nous en tiendrons, au contraire, aux points essentiels qu’il est impossible d’ignorer pour écrire en vers et nous renverrons à quelque ouvrage spécialisé ceux que nous aurons suffisamment intéressés pour susciter leur désir d’en connaître davantage.

 

  1. L E  V E R S  E T  S A  M E S U R E.

Le vers français n’est ni métrique, ni rythmique; il est SYLLABIQUE, c’est‑à‑dire qu’il se construit non d’après la quantité des syllabes, brèves ou longues, comme le vers latin ou le grec, non d’après leur accentuation, comme le vers allemand ou l’anglais, mais d’après leur nombre.

Il en est exactement de même pour notre vers dialectal.

Dans la poésie française, le compte des syllabes est compliqué par les règles de l’E muet qui a suscité beaucoup de discussions et de désaccords. Ces règles, nous jugeons inutile de les rappeler ici parce qu’elles sont inexistantes dans notre poésie dialectale où l’E muet s’élide automatiquement non seulement chaque fois qu’il est suivi d’une voyelle (comme en français) mais aussi partout où il « saute » dans la prononciation. C’est tout à fait logique, puisqu’on écrit le patois comme on le parle et quand on parle le patois les E muets « sautent ». EN VERS PATOIS, SEULES LES SYLLABES SONORES COMPTENT et les E muets non élidés parce que suivis d’une voyelle, sont remplacés par une apostrophe. D’autre part, rappelons que, tout comme en français, le E des rimes féminines n’entre pas en ligne de compte.

Un exemple nous aidera à mieux comprendre. Dans le premier couplet de sa chanson « Les Gosses de Tournai », Henri Thauvoye a écrit:

 

  • Ch’est nous éaut’s les gosses
  • De l’vill’ de Tournai
  • Ein’ bint’ de p’tit’s rosses
  • Traînant d’sus les quais …..

 

Il s’agit de vers de cinq syllabes. Mettons maintenant le troisième vers en français. Cela nous donne:

 

« Une bande de petites rosses »               soit un vers de 9 syllabes.

 

Mais jamais un Tournaisien ne dira « Eine binte de petites rosses »; il dit : « Ein’ bint’ de p’tit’s rosses » »et comme le patois écrit doit reproduire fidèlement le patois parlé, la notation de Thauvoye est la seule valable, puisque le Tournaisien dit: « Ein’ bint’ de p’tit’s rosses » supprimant non seulement les E muets, mais aussi le E accentué de pEtites.

 

Supposons un instant que Thauvoye ait écrit en vers de six syllabes. Dans ce cas, il lui aurait manqué une syllabe. Eh bien, s’il avait alors écrit

EinE bint’ de p’tit’s rosses

ou Ein’ bintE de p’tit’s rosses

ou Ein’ bint’ de pEtit’s rosses

 

On aurait tout simplement pu dire qu’il n’avait pas respecté la façon de parler du Tournaisien. Tout au plus, dans ce cas, aurait‑il pu écrire:

Ein’ bint’ de pétit’s rosses

parce que, dans l’usage courant, on rencontre parfois cette forme.

 

En résumé, nous dirons que notre vers dialectal est beaucoup plus familier que le vers français dont il n’a ni la pompe, ni les périphrases, ni les inversions et autres licences savantes. Mais cela ne veut nullement dire qu’il ne soit pas poétique  et qu’il ne permette pas l’expression de tout le lyrisme contenu dans l’âme populaire. Les exemples abondent qui prouvent le contraire.

 

Voici encore quelques types de vers de douze syllabes dans lesquels on remarquera l’élision systématique du E muet:

 

  • Deux microp’s bin portants, dins ein’ panch’ bin malate…
  • Pour ein’ surprisse, ah ! cha ! j’vous jur’, ch’teot ein surprisse..’.
  • J’aim’ tes arp’s et tes camps, j’aim’ tes beos et tes plaines…
  • J’aim’ tes vill’s, tes villach’s, tous tes vieux molumints…

 

Pour l’écriture, nous avons toujours pensé que lorsque le E muet d’un mot au singulier est suivi d’un mot commençant par une voyelle ou un H muet, il est inutile de remplacer ce E muet par une apostrophe puisqu’il s’élide automatiquement. Rien ne sert, en effet, de multiplier ces apostrophes qui rebutent parfois ceux qui débutent dans la lecture de nos textes.

Exemple: « Tout ce qu’AngèlE ell’ dit, i l’acceptE in riant… » (12 syll.)

 

Dans le même ordre d’idée, nous ajouterons que ceux qui écrivent en prose ont intérêt à laisser la plupart des E muets sans les remplacer par une apostrophe; le lecteur élidera lui‑même, comme il le fait d’ailleurs en français. C’est ainsi qu’en prose nous écririons:

« J’aime tes arpes et tes camps, j’aime tes beos et tes plaines, j’aime tes villes, tes villaches, tous tes vieux molumints … »  et le lecteur n’aurait pas plus lu en conservant les E muets qu’il n’aurait lu en faisant les liaisons car il doit savoir que dans notre patois on ne prononce pas plus toutes les syllabes qu’on ne fait les liaisons.

 

Avant d’aborder l’important chapitre de la rime, nous devons dire un mot de l’HIATUS qui est la rencontre de deux voyelles dont l’une finit un mot et dont l’autre commence le mot suivant. Nous dirons simplement que les règles actuelles, en français, sont beaucoup moins strictes que du temps de Malherbe ou de Boileau. Aujourd’hui, seul est proscrit le véritable hiatus, c’est‑à‑dire celui qui est désagréable à l’oreille. En patois, la règle est moins rigide, mais il reste néanmoins que certains hiatus qui choquent l’oreille doivent être évités.

 

  1. L A  R I M E

La rime caractérise notre poésie dialectale comme la poésie française.

Elle consiste dans la répétition, à la fin de deux ou de plusieurs vers, de la même voyelle accentuée suivie des mêmes articulations.

 

Sommel et solel                      imache et ménache                   orelle et nouvelle

 

train et prochain                     feumer et pleumer                      patois et putois

 

Il ne faut pas confondre la rime et l’ASSONANCE, celle‑ci, qui n’est en somme qu’une rime imparfaite, étant la répétition de la voyelle, quelle que soit l’articulation qui la suit.

 

tape et masse et ménache et patte

bronze et ombre et tompe

cante et oranche et espérance

 

RIME MASCULINE ET RIME FEMININE.

 

La RIME MASCULINE est celle des mots qui finissent par une SYLLABE SONORE, une syllabe qui a l’accent tonique.

mort et sort                   ‑                      carilleon et maseon                  ‑                      cou et caillou

 

La RIME FEMININE est celle des mots qui finissent par une SYLLABE MUETTE, sans accent tonique:

caravelle et poutrelle                ‑           peompe et treompe                   –                      furie et catégorie.

 

Rappelons que la syllabe muette à la rime  ne compte pas pour la mesure du vers; le E muet peut donc être suivi

de S (marque du pluriel) ou de NT (marque de la troisième personne du pluriel), la rime  reste féminine et ne fait pas compte.

 

portique et magnifiques                 –           meurent et pleurent

 

Exception : la finale en ENT de l’imparfait et du conditionnel ne compte pas; les mots en OIENT et en AIENT forment des rimes masculines.

Soient rime avec croit et feraient rime avec portrait.

(Ces cas ne se présentent pas en patois de Tournai)

 

VALEUR DES RIMES.

 

1) Rime suffisante ‑     la rime est dite suffisante quand elle porte sur une syllabe accentuée suivie des mêmes

articulations (c’est‑à‑dire des mêmes consonnes )

 

finale et rafale   ‑         tumulte et insulte     ‑            effort et trésor

 

2) Rime riche ‑        la rime est dite riche quand, dans les deux mots qui riment, la voyelle est, en plus, précédée

de la même articulation, de la ou des mêmes consonnes, qui sont appelées consonnes d’appui.

 

cribler et combler   ‑    célébrer et timbrer    ‑           chapitre et pupitre

 

3) Rime superflue ‑  la rime est dite superflue quand les deux syllabes finales riment.

 

olive et solive et enjolive                                final et matinal

affirmatif et alternatif                                     libéral et littéral

 

Ce qui précède étant connu, nous donnerons maintenant quelques REGLES IMPORTANTES à observer tant en patois qu’en français.

 

  1. a) un mot ne peut rimer avec lui‑même. Mais, par contre, deux homonymes peuvent parfaitement rimer :

marche (d’escalier) avec marche (militaire)

mousse (jeune marin), mousse (plante) et mousse (du verbe mousser )

sûr (acide) et sûr (certain)

 

  1. b) un mot ne peut rimer avec son verbe:

flamme et enflamme     ‑          grange et engrange        ‑           dommage et dédommage

 

  1. c) un mot ne peut rimer avec son composé ni les composés entre eux

voir et prévoir   ‑          lire et relire       ‑           battre et combattre

entrevoir et prévoir       ‑          lever, relever et soulever

prouver, approuver et désapprouver

 

  1. d) une syllabe longue ne rime pas avec une syllabe brève (suivant le grand principe que la rime est faite POUR L’OREILLE et non pour l’oeil):

ordonne ne rime pas avec trône  –  abattre ne rime pas avec idolâtre

flamme ne rime pas avec âme

 

  1. e) les finales E, I, U, ENT, ANT et la finale A des verbes doivent rimer obligatoirement de l’articulation.

 

Santé  rime avec vérité mais donne une rime insuffisante avec affamé;

apprenti rime avec parti mais donne une rime insuffisante avec chéri.

 

  1. f) les finales féminines, EE,IE,UE,EUSE,AIRE,ERE,doivent obligatoirement rimer de l’articulation

 

année rime avec journée mais donne une rime insuffisante avec armée

momie rime avec chimie mais donne une rime insuffisante avec toupie

berlue rime avec évalue mais donne une rime insuffisante avec éternue

voleuse rime avec recéleuse mais donne une rime insuffisante avec coureuse

affaire rime avec satisfaire mais donne une rime insuffisante avec notaire

 

REMARQUE: pour e) et f) ci‑dessus disons que dans des oeuvrettes de moindre importance,

on peut oublier ces exigences.

 

  1. les rimes ES, AIS, AITS, et ÊTS riment ensemble quoique d’orthographe différente (encore le principe de la rime pour l’oreille et pas pour l’oeil).

progrès, rets, français et satisfait riment ensemble.

 

  1. h) par contre, des mots comme : Jupiter et détester  –  hélas et coutelas  –  jadis et paradis  :  ne riment pas.

 

Soulignons qu’il peut arriver que des mots qui ne riment pas en français riment en patois, comme VILLE et FAMILLE (le ILLE de famille n’étant pas mouillé en patois (ein garcheon d’beonne famile)

 

  1. i) il faut éviter de faire se succéder des rimes masculines et des rimes féminines qui se prononcent de la même façon :

mots en OIX, OIT ou OIS      et mots en OIE

mots en AIR                          et mots en ERRE ou AIRE

mots en AL                           et mots en ALE

mots en AILLE                      et mots en AIL

 

Théodore de Banville réclame, pour la rime, l’importance prépondérante dans la facture du vers. Sans aller jusqu’à rechercher le raffinement des rimes superflues, il convient de faire l’effort maximum pour rechercher la rime riche. Adolphe PRAYEZ était un passionné de la rime riche. Voyons par exemple le deuxième couplet de « L’Dernier balotil »:

 

  • Appliqu’t’à bin cueiller l’ringée
  • Su l’métier mets‑te bin d’apleomb;
  • Ramass’ là ceull’ mall’ déringée …
  • Aiwill’ cassé’ : féaut féont’ les pleombs!
  • Et te n’as pos fini d’tes peines;
  • T’ov’là presque au bout du coréon;
  • Mets tes échets sur l’étrupeine,
  • Fés des babein’s, puis nous verréons!

 

ou les deux premiers couplets de « L’Tireu à l’arc »:

 

  • Quand ein tireu s’in va tirer,
  • Faut l’vir partir, d’ein pas m’suré
  • T’nant s’carquois et s’n’arc inserré
  • Dins s’verte gaîne …
  • Qu’i alle au Parc, aux Artilleurs,
  • Ichi dins l’ville ou bin ailleurs,
  • I s’in va pus fier qu’ein seigneur …
  • Cha ch’t’ein’ dégaîne!
  • Pus fort que Saint‑Bastien, s’patreon,
  • Comm’ beon tireu, comm’ gai lureon,
  • I‑est connu dins tous l’z’invireons,
  • Dins les communes;
  • Et mêm, si te veux l’acouter,
  • Sans s’vanter i va t’raconter
  • Qu’i‑a eu des prix d’tous les côtés …
  • Qu’à dins la lune! »

 

III. LE S    D I F F E R E N T E S      ME S U R E S    D E   V ER S

Il y a des vers de 1 à 12 syllabes, voire même de 13, 14 et 15 syllabes. Les plus employés sont l’octosyllabe (8 syll.) le décasyllabe (10 syll.) et le dodécasyllabe ou alexandrin (12 syll.)

 

  • « Le ciel est par dessus le toit » (8 syll.)
  • « On oblie tout quand on s’imbrasse » (8 syll.)
  • « Oui, c’est une sal’ démépriseusse » (8 syll.)
  • « Sur la bruyère longue infiniment » (10 Syll.)
  • « C’est même honteux d’fair’ si tant d’imbarras » (10 syll.)
  • « Bonjour et comment ç’que ça va, Zabelle? » (10 syll.)
  • « Déjà tout p’tit, quand j’alleos à l’école, (10 syll.)
  • « J’ passeos pour ein qui n’est pos fort malin! (10 syll.)
  • « On s’amuseot à buquer su m’cass’role (10 syll.)
  • « Et on ma1traiteot tous les jours d’innochint! (10 syll.)
  • « Tu changes en émail le vernis de la cruche; (12 syll.)
  • « Tu fais un étendard en séchant un torchon; (12 syll.)
  • « La meule a, grâce à toi, de l’or sur sa capuche (12 syll.)
  • « Et sa petite soeur, la ruche  (8 syll.)
  • « A de l’or sur son capuchon! » (8 syll.) (Ed.Rostand ‑ »Ode au soleil »)

 

  • Wallonie! P’tit pays, ni fort larqu’, ni fort leong, (12 syll.)
  • Te tiens pus d’plach’ dins m’coeur que tout l’restant de 1’tierre (12 syll.)
  • J’te jur’ que ch’t’ein amour qui dur’ra m’vie intière (12 syll.)
  • Et qu’qu’à m’dernier soupir ej s’rai fier d’êt’ Walleon! (12 syll.)    (Lucien Jardez)

 

Dans la versification libre, les vers de toutes mesures sont mêlés selon le seul caprice du poète. Le plus bel exemple: les fables de La Fontaine.

 

  1. L E S D I F F E R E N T E S C OM B I N A I S 0 N S   D E   R I M E S.

1) Rimes continues.‑ Le morceau entier ou toute une série de vers se terminant par la même rime. Les rimes continues ne sont plus employées que comme tour de force de versification plaisante.

 

2) Rimes plates ou suivies.‑ MM.FF.MM. etc ou FF.MM.FF. etc …

 

  • Vous s’in souv’nez, Lisett’, d’ceulle soirée d’no jeonesse
  • Qu’ mi j’n’oblierai jamais ? Comm’ je m’sinteos bénesse
  • D’infin s’trouver qu’à deux! Si vous ariez pouvu
  • Vir jusqu’au feond d’mi‑mêm’ … tout ç’que vous ariez vu!
  • J’arriveos tout perdu d’amour et d’espérance
  • Avec ein coeur tout nué, sans accreoc, sans souffrance!
  • Vous aviez ceull’ rop’ bleu’, parelle au bleu d’ vos yeux,
  • Parel au bleu du ciel … Tout ç’bleu ch’t’eot contagieux:
  • Je n’veyeos pus qu’du bleu! … Ené qu’j’aveos l’air drole ?
  • J’resteos planté d’vant vous sans dire ein’ seul’ parole …
  • Et pourtant j’aveos là, tout prêt’, ein bieau discours …
  • Mais pourquoi qu’à ç’moumint tout m’n’âm’ crieot au s’cours ?
  • Aujord’hui comme alors, qu’importe où ç’que vous êtes,
  • Vous s’in souv’nez, Lisette ?

(L.J)

 

Après deux rimes masculines il faut deux rimes féminines et jamais deux autres masculines; après deux rimes féminines et il faut deux rimes masculines et jamais deux autres féminines…et ainsi de suite.

 

 

3) Rimes croisées.‑ M.F.M.F. etc … ou F.M.F.M … etc.

 

  • Tous les deux on éteot partis,
  • Dins les camps, les prés, dins l’verdure;
  • A s’poursuife on s’aveot mâtis,
  • Comm’ les ozieaux feont dins l’z’héyures …
  • Dins 1’traleine on s’a rétindus,
  • Qu’i fait beon là, quand on s’orposse!
  • Et je m’souviens qu’on n’veyeot ‘ pus
  • Que l’debout de vo p’tit nez rôsse. »

(A.Prayez  « P’ tit nez rôsse »)

 

Comme on le voit, le premier vers rime avec le troisième, le deuxième avec le quatrième, le cinquième avec le septième et ainsi de suite. Si le quatrième est masculin, le cinquième doit avoir une nouvelle rime féminine et vice‑versa, même s’il s’agit de strophes.

 

4) Rimes embrassées.                           M.F.F.M. ou F.M.M.F.

 

  • Quand ç’qu’au matin d’la vie on s’a r’trouvé su ç’meonte,
  • On n’pouveot pos savoir qu’on éteot condamné
  • A ç’qui‑est écrit d’avanche … Et péaufe ou fortuné
  • Qu’on deot suife s’quémin su 1’tierre qui‑est toudis reonte! »

(L.Jardez)

  • P’tit couin d’tierre adoré, j’n’ordirai pos t’n’histoire!
  • On t’aim’ ! …Chest l’principal! … On est fier de t’passé,
  • Mais ch’est l’présint qui queompt’! … Tel que t’es ch’est assez
  • Pou rimplir tout no coeur…Ch’est cha t’pus bell’ victoire!

(L.Jardez)

5) Rimes mêlées.‑ L’ordre est absolument quelconque. Voir les fables de Jean de la Fontaine.

 

6) Rimes redoublées.‑ La même rime est reprise trois fois ou plus.

 

Voir  « L’Tireu à l’arc » de Prayez, page 4 ci‑avant.

Il y a encore d’autres combinaisons de vers, surtout pour les strophes de 5, 6, 7 vers et plus. Elles sauteront aux yeux à la simple lecture.

  1. L A C E S U R E.

La césure est une PAUSE à l’intérieur du vers, après une syllabe accentuée. Elle divise le vers en deux parties appelées HEMISTICHES qui n’ont pas nécessairement le même nombre de syllabes.

Dans les vers de 5 à 10 syllabes, sa place est variable. Dans l’alexandrin régulier, la césure doit tomber après la sixième syllabe, qui ne peut être muette. Si cette sixième syllabe est suivie d’une syllabe muette, le E muet DOIT être élidé par la voyelle initiale du mot suivant. Pratiquement donc, les sixième et septième syllabes d’un alexandrin sont des syllabes sonores.

  • C’est l’âme qui retient la douce souvenance
  • Des amis que la vie a mis, par prévenance,
  • Le long des durs chemins montant à l’avenir!
  • Plus riche chaque soir, le pèlerin regarde
  • Le passé qui s’estompe et, dans ses souvenirs,
  • Flottent les amitiés dont son coeur a la garde!                                       (L.Jardez)

 

  • Je m’demante in mi‑mêm’, balou à tiêt’ de beos,
  • Quoi ç’qui m’a ratiré dins vo foutu villache!
  • Quand j’pins’ qu’on juch’ l’osieau à l’valeur du pleumache
  • Et qu’j’ai été vous querre avec vos greos chabeots!                                 (L.Jardez)

 

Dans la pratique, et même chez les maîtres, on trouve une grande diversité de coupes dans les alexandrins:

4+4+4           2+4+6     3+9      2+10       3+3+6       4+8      2+4+2+4        4+2+2+4                           3+5+4

Cette diversité contribue à donner au poème un rythme propre à son auteur. Il n’en reste pas moins vrai qu’elle doit être employée judicieusement.

 

Les règles de la césure sont beaucoup plus rigoureuses pour les genres relevés. En poésie dialectale, une certaine licence est largement tolérée.

Disons, pour terminer qu’une période de douze syllabes sans césure aucune n’est pas un vers.

 

VII. L ‘ E N J A M B E M E N T

Il y a enjambement lorsque la phrase commence dans un vers et finit seulement dans une partie du vers suivant.

L’enjambement peut être voulu et recherché pour briser la monotonie du vers (surtout de l’alexandrin). A cet égard, il est d’un puissant secours pour qui écrit un monologue.

  • Emil’, qu’ell’ dit Angèl’, toi te vas commencer
  • Par mette ein p’tit peo d’ort’ … D’abord, te peux percer
  • L’trou pou l’écolomie!…Puis, te mettras l’pendule
  • Avec ein ban crampan !…J’suis t’ici que j’carcule
  • Si ça n’s’rait pas cor mieux que t’vas ormanter l’lit
  • Et aussi l’garte‑rop’ pour qu’on met les habits
  • L’pus vit’ possipe n’dans! … Moi, j’suis t’ici tout’ noirte,
  • J’dois t’aller m’décraper! … J’vais étrenner l’bainoirte! …  (L.Jardez)

Il y a enjambement du premier au deuxième vers (« te vas commencer par mette ein p’tit peu d’orte ») et du deuxième au troisième (« te peux percer l’trou »)

  • Plus riche chaque soir, le pèlerin regarde
  • Le passé qui s’estompe et, dans ses souvenirs,
  • Flottent les amitiés dont son coeur a la garde!     (L.Jardez)

Il y a enjambement du premier au deuxième vers (« le pèlerin regarde le passé qui s’estompe »)

 

VIII.         PO E M E S     A      F 0 R M E       F I X E.

Nous pourrions maintenant passer à l’étude des poèmes à forme fixe, c’est‑à‑dire des poèmes dont le nombre de vers et l’ordre des rimes sont immuablement fixés.

Mais nous penserions déborder du cadre de ces conseils en étudiant ces poèmes. Ceux que la chose intéresse trouveront tous les détails désirables dans une encyclopédie ou dans un traité de versification auxquels nous nous permettons de les renvoyer.

IX        L A   C H A N S 0 N

La chanson est la forme de la poésie populaire, par excellence. Quoi d’étonnant qu’elle soit, par excellence aussi, le genre préféré de nos auteurs patoisants.

Tout ce que nous avons dit au sujet de la versification en général est valable pour la chanson qui n’est, en somme, qu’un poème à mettre ultérieurement en musique.

Il y a néanmoins quelques remarques particulières à faire à l’intention des chansonniers qui, le plus souvent, écrivent leurs chansons sur des airs connus en remplaçant les paroles originales par celles qu’ils composent eux‑mêmes.

Il est essentiel que les paroles nouvelles soient, quant au fond, adaptées à l’air; on voit difficilement, par exemple, une cantate en l’honneur de l’une ou l’autre célébrité écrite sur l’air de « Monte là d’sus! » ou sur l’air de « Elle a perdu son pantalon! »

De plus, au point de vue métrique, la chanson nouvelle doit serrer de très près le texte original. Ne jamais remplacer des rimes masculines par des féminines et vice‑versa. Dans le vers, il y a lieu de respecter la ou les césures de l’original de façon à ce qu’un mot ne soit pas coupé en deux quand le texte sera chanté.

En un mot, le texte nouveau doit « coller » à la musique aussi bien que le texte original.

  1. L E M 0 N 0 L 0 G U E.

Le monologue est une histoire, généralement humoristique, écrite pour être débitée (et même jouée) par un seul acteur.

Au départ, le monologue peut être écrit en prose; mais, en règle générale, c’est une pièce de vers, narrative, dont le mot de la fin provoque l’éclat de rire.

 

E N    G U I S E   D E      C 0 N C L U S 1 0 N.

Notre seul voeu est que ces notes servent notre littérature tournaisienne en facilitant les premiers pas de nouveaux auteurs dialectaux.

Que les débutants y trouvent un enseignement qui, pour incomplet qu’il soit, les aidera néanmoins à vaincre les premières difficultés de la versification.

Qu’ils sachent, de plus, que les Membres de la Royale Compagnie du Cabaret Wallon Tournaisien sont là pour les éclairer, les guider, les corriger. Qu’ils n’hésitent jamais à leur demander un conseil. Car il n’est pire engeance que ces gens de qualité » (soi‑disant) que fustige Molière dans « Les Précieuses ridicules », ces gens « qui savent tout sans avoir rien appris »!

Qu’ils se rappellent surtout que le Concours Prayez leur est ouvert et les attend. C’est en participant à ce concours annuel que bon nombre de membres actuels de la R.C.C.W.T. , parmi les meilleurs, ont fait leurs premières armes dans notre littérature dialectale.

Leur exemple mérite d’être suivi par tous ceux qu’attire le charme de note patois tournaisien. Qu’ils ne soient pas rebutés au départ par certaines difficultés d’orthographe : tout s’apprend et tout se corrige. Encore ne faut‑il pas attendre l’âge de la retraite pour se mettre sur les rangs!

Que ces futurs auteurs patoisants n’oublient pas que notre parler picard a ses lettres de noblesse et qu’il fut langue littéraire au moyen-âge. La chante‑fable d’Aucassin et Nicolette, l’oeuvre d’Adam de la Halle et les premiers écrits du chroniqueur Froissart ont été écrits en picard.

Et plus tard, lorsque lauréats d’un de nos concours, ou même devenus membres de notre Compagnie, il se remémoreront leurs premiers pas dans nos lettres patoisantes, peut‑être songeront‑ils aux quelques conseils contenus dans ces pages et qui les auront incités à user d’un moyen d’expression qui, retournant aux sources, fait la liaison entre la simplicité des formules populaires et le pédantisme parfois outrancier du langage officiel.

Ce sera pour nous l’inestimable récompense d’un travail que nous avons fait pour le seul plaisir de nous rendre utile aux lettres tournaisiennes.

 

R.C.C.W.T.